samedi 5 décembre 2020

Sorcières : la puissance invaincue des femmes | Mona Chollet


Résumé : 

Tremblez, les sorcières reviennent ! disait un slogan féministe des années 1970. Image repoussoir, représentation misogyne héritée des procès et des bûchers des grandes chasses de la Renaissance, la sorcière peut pourtant, affirme Mona Chollet, servir pour les femmes d'aujourd'hui de figure d'une puissance positive, affranchie de toutes les dominations.
Davantage encore que leurs aînées des années 1970, les féministes actuelles semblent hantées par cette figure de la sorcière. Elle est à la fois la victime absolue, celle pour qui on réclame justice, et la rebelle obstinée, insaisissable. Mais qui étaient au juste celles qui, dans l'Europe de la Renaissance, ont été accusées de sorcellerie ?

Ce livre explore trois archétypes de la chasse aux sorcières et examine ce qu'il en reste aujourd'hui, dans nos préjugés et nos représentations : la femme indépendante – les veuves et les célibataires furent particulièrement visées ; la femme sans enfant – l'époque des chasses a marqué la fin de la tolérance pour celles qui prétendaient contrôler leur fécondité ; et la femme âgée – devenue, et restée depuis, un objet d'horreur.

Mais il y est aussi question de la vision du monde que la traque des sorcières a servi à promouvoir, du rapport guerrier qui s'est développé alors tant à l'égard des femmes que de la nature : une double malédiction qui reste à lever.


Extrait : 

Bien sûr, il y a eu celle du Blanche-Neige de Walt Disney, avec ses cheveux gris filasse sous sa capuche noire, son nez crochu orné d’une verrue, son rictus imbécile découvrant une dent unique plantée dans sa mâchoire inférieure, ses sourcils épais au-dessus de ses yeux fous qui accentuaient encore son expression maléfique. Mais la sorcière qui a le plus marqué mon enfance, ce n’est pas elle : c’est Floppy Le Redoux.
Floppy apparaît dans Le Château des enfants volés, un roman jeunesse de l’autrice suédoise Maria Gripe (1923-2007)1 qui se déroule dans une contrée nordique imaginaire. Elle vit dans une maison perchée au sommet d’une colline, abritée sous un très vieux pommier dont la silhouette, visible de loin, se découpe sur le ciel. L’endroit est paisible et beau, mais les habitants du village voisin évitent de s’y aventurer, car autrefois s’y dressait une potence. La nuit, on peut apercevoir une faible lueur à la fenêtre tandis que la vieille femme tisse tout en conversant avec son corbeau, Solon, borgne depuis qu’il a perdu un œil en se penchant sur le Puits-de-la-Sagesse. Plus encore que par les pouvoirs magiques de la sorcière, j’étais impressionnée par l’aura qui émanait d’elle, faite de calme profond, de mystère, de clairvoyance.
La façon dont son apparence était décrite me fascinait. « Elle sortait toujours enveloppée dans une ample cape bleu foncé, dont le large col, claquant au vent, faisait flop-flop autour de sa tête » – d’où le surnom de « Floppy ». « Elle était aussi coiffée d’un drôle de chapeau. Ses bords souples étaient parsemés de fleurs retombant d’une haute calotte violette garnie de papillons. » Ceux qui croisaient son chemin étaient frappés par l’éclat de ses yeux bleus, qui « changeaient continuellement et exerçaient un véritable pouvoir sur les gens ». C’est peut-être bien l’image de Floppy Le Redoux qui m’a préparée à apprécier plus tard, quand je me suis intéressée à la mode, les créations imposantes d’un Yohji Yamamoto, ses vêtements amples, ses chapeaux immenses, sortes de refuges de tissu, aux antipodes du modèle esthétique dominant selon lequel les filles doivent dévoiler le plus de peau et de formes possible2. Restée dans ma mémoire comme un talisman, une ombre bienveillante, Floppy m’avait laissé le souvenir de ce que pouvait être une femme d’envergure.
J’aimais aussi la vie retirée qu’elle menait, et son rapport à la communauté, à la fois distant et impliqué. La colline où s’élève sa maison, écrit Maria Gripe, semble protéger le village « comme s’il était blotti sous son aile ». La sorcière tisse des tapis extraordinaires : « Assise devant son métier, elle méditait tout en travaillant. Ses réflexions concernaient les habitants du village et leur vie. Tant et si bien qu’un beau matin, elle découvrit que, sans s’en douter, elle savait d’avance ce qui leur arrivait. Penchée sur son ouvrage, elle lisait leur avenir dans le dessin qui, tout naturellement, se créait sous ses doigts. » Sa présence dans les rues, si rare et fugitive soit-elle, est un signe d’espoir pour ceux qui la voient passer : elle doit la seconde partie de son surnom – personne ne connaît son véritable nom – au fait qu’elle ne se montre jamais durant l’hiver, et que sa réapparition annonce de façon certaine l’arrivée imminente du printemps, même si ce jour-là le thermomètre marque encore « trente degrés au-dessous de zéro ».

Extrait de Les héritières. Introduction.


Mon avis : 

AVIS A VENIR

Ma note :

18/20


Infos complémentaires :

Genre : Essai sociologique
Editions : Zones
Date de parution : 2018
Nombre de pages : 233

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