vendredi 10 janvier 2020

Girl | Edna O'Brien



Résumé : 

Le nouveau roman d’Edna O’Brien laisse pantois. S’inspirant de l’histoire des lycéennes enlevées par Boko Haram en 2014, l’auteure irlandaise se glisse dans la peau d’une adolescente nigériane. Depuis l’irruption d’hommes en armes dans l’enceinte de l’école, on vit avec elle, comme en apnée, le rapt, la traversée de la jungle en camion, l’arrivée dans le camp, les mauvais traitements, et son mariage forcé à un djihadiste – avec pour corollaires le désarroi, la faim, la solitude et la terreur.
Le plus difficile commence pourtant quand la protagoniste de ce monologue halluciné parvient à s’évader, avec l’enfant qu’elle a eue en captivité. Celle qui, à sa toute petite fille, fera un soir dans la forêt un aveu déchirant – « Je ne suis pas assez grande pour être ta mère » – finira bien, après des jours de marche, par retrouver les siens. Et comprendre que rien ne sera jamais plus comme avant : dans leur regard, elle est devenue une « femme du bush », coupable d’avoir souillé le sang de la communauté.
Girl bouleverse par son rythme et sa fureur à dire, à son extrême, le destin des femmes bafouées. Dans son obstination à s’en sortir et son inaltérable foi en la vie face à l’horreur, l’héroïne de ce roman magistral s’inscrit dans la lignée des figures féminines nourries par l’expérience de la jeune Edna O’Brien, mise au ban de son pays pour délit de liberté alors qu’elle avait à peine trente ans.
Soixante ans plus tard, celle qui est devenue l’un des plus grands écrivains de ce siècle nous offre un livre d’une sombre splendeur avec, malgré tout, au bout du tunnel, la tendresse et la beauté pour viatiques.


Extrait : 

J’ÉTAIS UNE FILLE AUTREFOIS, c’est fini. Je pue. Couverte de croûtes de sang, mon pagne en lambeaux. Mes entrailles, un bourbier. Emmenée en trombe à travers cette forêt que j’ai vue, cette première nuit d’effroi, quand mes amies et moi avons été arrachées à l’école.
Le pan pan soudain des coups de feu dans notre dortoir, et les hommes au visage couvert, regard furieux, disant qu’ils sont les soldats venus nous protéger, qu’il y a une insurrection en ville. Nous avons peur, mais nous les croyons. Des filles hébétées sortent du lit, d’autres arrivent de la véranda où elles dormaient parce que c’était une nuit chaude et moite.
Sitôt entendu Allahu akbar, Allahu akbar, nous avons su. Ils avaient volé les uniformes de nos soldats pour passer la sécurité. Ils nous ont bombardées de questions – Où est l’école des garçons, Où garde-t-on le ciment, Où sont les dépôts. Quand on a dit qu’on ne savait pas, ils sont devenus fous. Puis d’autres ont débarqué, ils n’arrivaient à trouver ni pièces détachées ni essence dans les appentis et le ton est monté.
Pas question pour eux de retourner les mains vides, sans quoi leur commandant serait furieux. Puis, au milieu des cris, l’un d’eux a dit dans un large sourire, « les filles, ça le fera », et nous avons entendu l’ordre d’aller chercher d’autres camions. Une fille a sorti son portable pour appeler sa mère, mais on le lui a aussitôt saisi. Elle s’est mise à pleurer, d’autres se sont mises à pleurer, suppliant qu’on les laisse rentrer à la maison. L’une s’est agenouillée : « Monsieur, monsieur », ce qui l’a mis en rage, et il a commencé à nous injurier et à nous narguer, nous traitant de tous les noms, de putes et de traînées, qu’on devrait être mariées et qu’on le serait bientôt.
On nous a séparées par groupes de vingt, et il a fallu attendre, bredouillantes, accrochées les unes aux autres, puis l’ordre a été donné d’évacuer le dortoir, sur-le-champ, de tout laisser derrière.
Le chauffeur du premier camion à franchir le portail de l’école avait une arme braquée sur la tête, et il a traversé la petite ville comme un dingue. Il n’y aurait personne pour dire avoir vu passer un camion, à cette heure indue, avec tout plein de filles.
On s’est bientôt retrouvées dans un village à la frontière, débouchant sur une jungle épaisse. Ils ont dit au chauffeur de descendre et, quelques minutes après qu’ils l’ont emmené, on a entendu des tirs nourris.
D’autres chauffeurs sont arrivés, et ils ont discuté frénétiquement pour savoir quelles filles mettre dans quel camion. La terreur nous avait paralysées. La lune que nous avions un temps perdue a reparu très haut dans le ciel, éclairant de ses rayons froids les arbres foncés qui s’étendaient à perte de vue, nous dirigeant vers le cœur de notre destination. Rien à voir avec la lune qui éclairait le sol du dortoir quand on a ramassé nos habits, mais laissé nos cahiers, nos cartables et nos affaires, comme on nous a dit. J’ai caché mon journal, car c’était mon dernier lien avec la vie.
Mais on n’avait pas perdu espoir. On savait qu’à cette heure les secours devaient être en route, nos parents, nos aînés, nos professeurs, tous à notre poursuite. Par les flancs ouverts du camion, on jette des affaires, qu’ils puissent nous suivre à la trace : peigne, ceinture, mouchoir, bouts de papier avec des noms griffonnés dessus – Trouvez-nous, trouvez-nous. Nous chuchotons, essayons de nous donner du courage.

Extrait du chapitre 1.


Mon avis : 

Un livre qui sort de l'ordinaire par rapport à ce que j'ai tendance à lire. Je suis contente d'être sortie de ma zone de confort, même si c'était pas simple !

C'est un livre très fort, très poignant qui traite d'un sujet assez dur : les jeunes filles enlevées par Boko Haram, leur vie en tant que prisonnières et pour celles qui ont réussi à se libérer, leur retour dans la société.

La jeune fille que nous suivons, Maryam, en voit des vertes et des pas mûres et on se demande comment elle a encore la force de se battre contre ce monde qui la rejette comme une pestiférée, alors qu'elle est sortie de l'enfer.

J'ai été vraiment très touchée par cette histoire, très dure mais bien écrite et j'ai trouvé que le sujet été traité avec justesse. J'ai été éffarée de voir les épreuves que doit traverser Maryam pour être à nouveau acceptée par sa famille, ses voisins bref tous ses proches, simplement parce qu'un homme de Boko Haram a abusé d'elle et l'a mit enceinte. Elle se bat pour sa fille qu'elle aime malgré l'horreur de sa naissance... 

Il faut serrer les dents mais malgré tout le roman permet d'ouvrir les yeux sur une réalité bien difficile à digérer... Je suis contente que ce livre m'ai montré une réalité qui n'est pas la mienne tout en me permettant de sortir de ma zone de confort littéraire.

Je conseille fortement ce roman car c'est un sujet coup de poing mais je souhaite toutefois vous prévenir, on y parle de viol, de guerre, d'enlèvement... bref pas très joyeux.


Ma note :

17/20


Infos complémentaires :

Genre : Contemporain
Editions : Sabine Wespieser
Traduction : Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat
Date de parution : 2019
Nombre de pages : 256

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