samedi 7 novembre 2020

Petit pays | Gaël Faye



Résumé : 

En 1992, Gabriel, dix ans, vit au Burundi avec son père français, entrepreneur, sa mère rwandaise et sa petite sœur, Ana, dans un confortable quartier d’expatriés. Gabriel passe le plus clair de son temps avec ses copains, une joyeuse bande occupée à faire les quatre cents coups. Un quotidien paisible, une enfance douce qui vont se disloquer en même temps que ce « petit pays » d’Afrique brutalement malmené par l’Histoire. Gabriel voit avec inquiétude ses parents se séparer, puis la guerre civile se profiler, suivie du drame rwandais. Le quartier est bouleversé. Par vagues successives, la violence l’envahit, l’imprègne, et tout bascule. Gabriel se croyait un enfant, il va se découvrir métis, Tutsi, Français…


Extrait : 

Je ne connaîtrai jamais les véritables raisons de la séparation de mes parents. Il devait pourtant y avoir un profond malentendu dès le départ. Un vice de fabrication dans leur rencontre, un astérisque que personne n’avait vu, ou voulu voir. Au temps d’avant, mes parents étaient jeunes et beaux. Des cœurs gonflés d’espoir comme le soleil des indépendances. Fallait voir ! Le jour de leur mariage, Papa n’en revenait pas de lui avoir passé la bague au doigt. Bien sûr, il avait un certain charme, le paternel, avec ses yeux verts tranchants, ses cheveux châtain clair veinés de blond et sa stature de Viking. Mais il n’arrivait pas à la cheville de Maman. Et c’était quelque chose, les chevilles de Maman ! Ça inaugurait de longues jambes effilées qui mettaient des fusils dans le regard des femmes et des persiennes entrouvertes devant celui des hommes. Papa était un petit Français du Jura, arrivé en Afrique par hasard pour effectuer son service civil, il venait d’un patelin dans les montagnes qui ressemblait à s’y méprendre aux paysages du Burundi, mais chez lui, il n’y en avait pas, des femmes avec l’allure de Maman, des roseaux d’eau douce à la silhouette fuselée, des beautés sveltes comme des gratte-ciel à la peau noire ébène et aux grands yeux de vaches Ankole. Fallait entendre ! Le jour de leur mariage, une rumba insouciante s’échappait de guitares mal accordées, le bonheur sifflotait des airs de cha-cha-cha sous un ciel piqué d’étoiles. C’était tout vu ! Y avait plus qu’à ! Aimer. Vivre. Rire. Exister. Toujours tout droit, sans s’arrêter, jusqu’au bout de la piste et même un peu plus.
Seulement mes parents étaient des adolescents paumés à qui l’on demande subitement de devenir des adultes responsables. Ils sortaient à peine de leur puberté, de leurs hormones, de leurs nuits blanches, qu’il fallait déjà débarrasser les cadavres de bouteilles sifflées, vider les culs de joints des cendriers, ranger dans leur pochette les vinyles de rock psychédélique, plier les pantalons pattes d’éph et les chemises indiennes. La cloche avait sonné. Les enfants, les impôts, les obligations, les soucis sont arrivés, trop tôt, trop vite, et avec eux le doute et les coupeurs de route, les dictateurs et les coups d’État, les programmes d’ajustements structurels, les renoncements aux idéaux, les matins qui peinent à se lever, le soleil qui traîne chaque jour un peu plus dans son lit. Le réel s’est imposé. Rude. Féroce. La nonchalance des débuts s’est muée en cadence tyrannique comme le tic-tac implacable d’une pendule. Le naturel s’est pris pour un boomerang et mes parents l’ont reçu en plein visage, comprenant qu’ils avaient confondu le désir et l’amour, et que chacun avait fabriqué les qualités de l’autre. Ils n’avaient pas partagé leurs rêves, simplement leurs illusions. Un rêve, ils en avaient eu un chacun, à soi, égoïste, et ils n’étaient pas prêts à combler les attentes de l’autre.
Mais au temps d’avant, avant tout ça, avant ce que je vais raconter et tout le reste, c’était le bonheur, la vie sans se l’expliquer. L’existence était telle qu’elle était, telle qu’elle avait toujours été et que je voulais qu’elle reste. Un doux sommeil, paisible, sans moustique qui vient danser à l’oreille, sans cette pluie de questions qui a fini par tambouriner la tôle de ma tête. Au temps du bonheur, si l’on me demandait « Comment ça va ? » je répondais toujours « Ça va ! ». Du tac au tac. Le bonheur, ça t’évite de réfléchir. C’est par la suite que je me suis mis à considérer la question. À soupeser le pour et le contre. À esquiver, à opiner vaguement du chef. D’ailleurs, tout le pays s’y était mis. Les gens ne répondaient plus que par « Ça va un peu ». Parce que la vie ne pouvait plus aller complètement bien après tout ce qui nous était arrivé.

Extrait du chapitre 1


Mon avis : 

Si je devais décrire ce roman en trois mots, je choisirais : poétique, riche et émouvant. C'est un très beau roman qui m'a beaucoup touchée bien que sortant vraiment de ma zone de confort. Mais la plume de Gaël Faye m'a complétement ensorcelée. L'auteur s'est manié les mots avec précision et poésie, c'est très beau et très agréable à lire.

Ce livre aborde un sujet dur et sensible : la guerre au Rwanda entre les Hutus et les Tutsi, à travers les yeux d'un enfant d'une mère rwandaise et d'un père français. C'est un roman semi-autobiographique et cela rend l'histoire encore plus réelle, riche et percutante. J'ai trouvé le contraste entre la brutalité de l'histoire, de la guerre et l'innocence de l'enfance et la beauté de l'écriture très puissante et très réussie. 

Le rythme est aussi très bon et dans ce récit sombre et dramatique, l'auteur nous offre des petites touches d'humour qui nous permettent de reprendre notre souffle avant de replonger dans l'émotion brute, qu'elle soit douce ou plus amère. J'ai vraiment aimé la richesse des émotions présente dans ce livre. C'était une lecture très authentique et bouleversante. A deux doigts du coup de cœur ! 


Ma note :

17/20


Infos complémentaires :

Genre : Contemporain
Editions : Grasset
Date de parution : 2016
Nombre de pages : 224

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